EMMA BILHAM : L’APPEL DE LA MONTAGNE

Depuis plusieurs saisons, Emma Bilham collectionne les performances et truste les podiums sur triathlon longue distance. De  préférence sur parcours montagneux,  voire très montagneux ! Car la montagne, c’est son truc, sa passion.

Son retour sur Ironman en 2019 s’est soldé par sa 1ère victoire sur la distance mythique en Irlande, lui ouvrant les portes d’Hawaii. Une victoire spontanée, à l’instinct, pleine d’émotion… tout à son image.

J’ai pu m’entretenir avec cette triathlète format de poche – comme elle se définit elle-même – à la tête bien sur les épaules, pleine de rêves, mais qui ne se la prend surtout pas…


Emma, le triathlon au haut niveau et toi, ça a commencé quand, comment et… pourquoi ?

Ça a commencé à mes 16 ans. J’étais nageuse mais j’en avais un peu marre d’aligner les longueurs à la piscine. En plus je n’étais pas forcément avantagée par ma taille, et dans ce sport, si tu n’as pas percé à 16 ans, ça devient compliqué. Je me suis donc cherchée de nouveaux défis et je suis partie sur le triathlon. J’en ai fait 2 ans mais j’ai ensuite préféré terminer mes études, car c’est souvent difficilement compatible avec le triathlon.

J’ai continué à faire du sport pour m’entretenir mais je n’ai repris la compétition en triathlon qu’à mes 24 ans, en amatrice, car je m’étais inscrite à un club de triathlon à Berlin pour pratiquer l’Allemand. A l’époque, mes performances étaient loin d’un niveau élite (1h35 au semi marathon) mais ça m’a relancée, ça m’a vraiment redonné envie de continuer et au fur et à mesure, j’ai découvert la longue distance.

Gagner l’Ironman d’Irlande ? Inattendu et incroyable.

Après plusieurs places d’honneur sur la distance reine, on t’a vu remporter ton premier Ironman en Irlande en juin dernier, dans des conditions dantesques*… avec une vraie belle émotion sur la finish line ? Que penses-tu à ce moment là ?

En fait… c’est drôle, mais on a du mal à ‘‘penser’’ à ce moment-là. On est tellement au bout physiquement, que mentalement il n’y a plus grand chose qui connecte ! Même si il y une vague d’émotions qui arrive, je n’ai pas vraiment réalisé sur le moment… mais plus sur les jours qui ont suivi.

Ce qui est surtout beau pour moi c’est que je n’avais aucune ambition de gagner cette course. Je n’y allais pas pour ça. Mais je voulais faire mon retour sur Ironman après deux ans et demi d’absence sur cette distance et des blessures à répétition. Je n’avais plus trop de repères, je n’avais pas couru plus de 22 ou 24 kilomètres à l’entraînement. Je ne savais donc pas si mon corps allait pouvoir encaisser ça. Donc arriver au bout et remporter cette course, sous le déluge, avec des trombes d’eau et de véritables lacs sur la route ( !), c’était un moment incroyable.

*2ème Ironman de Nice et Ironman de Zurich en 2016.
**L’organisation a annulé la partie natation en raison de conditions météo particulièrement difficiles et dangereuses, la pluie n’ayant ensuite jamais cessé sur les parcours vélo et course à pied.

Cette victoire, c’est la qualif’ en poche pour Hawaii 2019. Malheureusement, 3 jours avant la course, un accident en vélo* t’a empêchée de participer à la grande fête en pleine possession de tous tes moyens. Peu d’athlètes auraient d’ailleurs pris le départ comme tu l’as quand même fait. Que retiens-tu de cette “Kona experience” ?

C’était assez beau quand même ! Évidemment, je me serais bien passée de cet accident car on ne le souhaite jamais. D’autant plus que j’avais monté un petit projet pour me permettre d’y aller. Et beaucoup de gens m’ont soutenue pour en arriver là, moralement et financièrement. Car Kona reste cher.

J’ai tapé tellement fort dans cette voiture… j’étais avant tout soulagée d’être vivante. Mais tellement déçue de ne pas pouvoir offrir une belle course à tous ceux m’ayant entourée. Après, à partir du moment où, si même blessée, je tenais encore sur mes 2 pieds, je n’ai pas tellement réfléchi. Je n’avais pas de raisons de ne pas prendre le départ. C’est difficile à décrire en fait… Mais je voulais faire ça autant pour moi, que pour mes parents et mon ami qui étaient là. Et pour tous ceux qui m’avaient accompagnée et supportée sur ce projet.

*En session d’entraînement, Emma a percuté à 50 km/h une voiture garée sur le bas coté de la route. Bilan : vélo cassé, genou amoché. Emma, incapable de courir, prendra néanmoins le départ, effectuera la natation, mais abandonnera sur le vélo.

Malgré cette mésaventure, tu sembles avoir mentalement rebondi très vite. D’ailleurs on te voit toujours avec le sourire. C’est quoi le secret ?

Ah ah… Ouais bon, je fais du triathlon parce que j’aime ça. Même si, on ne va pas se mentir, les séances sont très dures, les courses en Ironman sont rarement une partie de plaisir d’un bout à l’autre. Mais j’ai croisé assez de gens dans ma vie qui ne sont pas heureux de ce qu’ils font, pour me rendre compte de la chance que j’ai d’avoir fait ce choix de vie.

Il y des hauts et des bas bien sûr, ce n’est pas toujours facile, on rame un peu pour joindre les deux bouts. Mais je n’aurais jamais choisi autre chose. Ça fait peut être un peu cliché, mais je pense qu’il faut être heureux de ce que l’on a et des choix qu’on a faits. Donc ce n’est pas forcément un secret, c’est juste que je suis comme ça !

L'Embrunman me tient à cœur.

Quels sont du coup tes objectifs pour la saison 2020 ? Se requalifier à tout prix pour Kona ? Gagner l’Embrunman ?

J’avoue que j’ai été déçue à Embrun cette année. Je l’avais fait une fois en 2016, mais j’étais cuite, car j’avais déjà fait Nice et Zurich juste avant, le tout sur ma première année découverte de la très longue distance. Comme c’est une course qui me tient à cœur, cette année j’avais vraiment envie de bien faire. Et souvent, quand on a trop envie de bien faire, on se plante. Dès le début du vélo, j’ai senti que je n’avais rien dans les jambes. J’ai tenu à aller au bout mais ça a été super dur. Donc l’an prochain, si je suis en forme, j’aimerais faire une belle course à Embrun, même si de par sa difficulté on ne peut pas savoir ce qui peut arriver.

La qualif’ pour Kona, je n’en ai jamais fait une fixation. D’autant plus que le système de qualification a changé pour les pros, il faut absolument faire partie des premiers pour obtenir son slot. Ce n’est plus la consistance qui paye mais la performance le jour J. Je ne fais pas partie des toutes meilleures non plus, donc c’est toujours un peu la loterie.

D’ailleurs je connais des filles qui ont essayé toute la saison de se qualifier, sans succès. Bien sûr j’aimerais retourner à Kona car j’ai une “revanche” à prendre, mais je préfère continuer à me faire plaisir sur les courses que j’ai envie de faire. Donc retourner à Kona l’an prochain ou plus tard, oui, mais sans que cela devienne une pression.

Tu sembles privilégier les parcours à fort dénivelé. On t’a même vu performer sur la course cycliste L’Étape du Tour*. C’est quoi le truc ? Les origines suisses ? L’appel de la montagne ?

Ah ah… non j’adore rouler en fait ! Quand on vient du monde monotone de la natation, à suivre cette ligne bleue matin et soir… on ne peut qu’adorer le vélo. Même si au début physiquement c’est galère hein ! Mais c’est vrai que j’ai de la peine à rouler sur vélo de chrono car je préfère grimper, descendre. C’est juste un bonheur. D’ailleurs, après l’Ironman d’Irlande, je me suis accordée 2 mois à rouler en montagne car c’est ce que j’aime. Et puis ça fait les jambes ! Sur L’Étape du Tour, j’ai été invitée par l’équipe Alltricks. C’était vraiment cool car j’y ai participé avec mon ami et 4 autres personnes et ça permet de sortir un peu du monde du triathlon, de découvrir d’autres choses.

*Emma a pris la 2ème place de l’Etape du Tour en juillet 2019. 135 km et 4 563 m d+ entre Albertville et Val Thorens.

Côté matos, tu cours depuis de longues années avec des équipements Skinfit, une marque Autrichienne peu connue dans le milieu du triathlon. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Alors il faut que je corrige un peu, car j’étais athlète Skinfit jusqu’à l’année dernière, mais ils ne m’ont pas sponsorisée pour 2019. Du coup, je leur ai fait un peu de pub gratuite cette année 😉 Ceci dit, leur matériel est de très bonne qualité et super confortable. C’est du haut de gamme multi-sport, axé principalement sur le ski. C’est une entreprise autrichienne très familiale, mais qui à mon sens n’a pas réussi à bien se développer en France et dans les autres pays, car très centrée sur Autriche-Suisse-Allemagne.

Maintenant pour les textiles vélo, je suis accompagnée par la marque Le Bram, propre à Alltricks, et qui a des designs vraiment sympa. Sinon, en tant que pro, je n’ai pas d’équipementier attitré en triathlon.

En tant que professionnelle, tu es accompagnée par des partenaires de qualité comme Saucony, Asterion, Cycling Ceramic ou encore Keforma pour la nutrition… Quels sont tes 3 équipements fétiches ?

Tout d’abord, les roues Asterion ! Car justement, du fait d’être petite et légère, Asterion m’a fait des roues sur-mesure, notamment pour la montagne. J’ai des 50* super légères, très facile à relancer. Avec des roulements céramiques dans les moyeux ça roule incroyablement bien. Et pour L’Étape du Tour, j’avais des 35*, qui pèsent à peine 1kg pour la paire ! C’est simple : en fonction des paires de roues, je n’ai pas l’impression d’être sur le même vélo…

Ensuite, Saucony m’équipe en chaussures depuis 5-6 ans. Ils ont une approche très familiale, ce que j’apprécie, car je préfère créer ce type de relations dans la durée avec les boîtes, plutôt que de changer chaque année pour raison x ou y.

Pour finir, je change mes lunettes de natation régulièrement car je déteste nager avec la buée dans les lunettes. Donc pour l’entraînement j’ai une vielle paire dégueulasse, mais une nouvelle paire pour chaque course. Et je cours souvent avec les Arena Junior, car j’ai une petite tête !

*Hauteur de jante en mm.

Et côté vélo, quel modèle convient le mieux à ton gabarit… atypique ?

J’ai couru très longtemps avec mon vélo de route Liv, même sur du longue distance. Il m’a quand même permise de faire 2ème aux Ironman de Nice et Zurich… Mais il était un peu grand. Depuis, en vélo de route, j’ai un Basso… minuscule ! D’ailleurs il fait réagir les gens : la potence est tout en bas, le cintre est niveau des roues. Mais je l’adore. Et en vélo de chrono, cette année j’ai roulé sur un Orbea. Il n’est pas intégré devant, ce qui me permet de mettre la potence très très bas, pour avoir une position un peu plus aéro malgré mes petites jambes !

Ne pas trop se prendre au sérieux. Mais prendre du plaisir avant tout.

Pour finir, quels conseils donnerais-tu aux débutants qui souhaitent se mettre au triathlon ?

En fait, c’est un conseil valable pour tout le monde et pas spécialement aux triathlètes : ne pas trop se prendre au sérieux ! Il y a beaucoup de gens dans le monde du triathlon qui se prennent au sérieux pour pas grand-chose. Ensuite, laisser de la place au plaisir, ne pas se laisser obnubilés par tout ce qui est technologique. Je me suis entraînée des années sans capteur de puissance, sans fréquence cardiaque. Car à l’arrivée, il faut appuyer sur les pédales et s’entraîner de façon sérieuse et consistante, selon ses moyens et ses disponibilités de temps.

Tout ce qui est gadget peut aider, mais il faut avant tout prendre plaisir à ce que l’on fait, sans griller les étapes. Ainsi il ne faut pas vouloir faire un Ironman parce que tout le monde fait un Ironman. Faire un format sprint est tout autant méritoire.


L’interview décalée – 30 secondes full gas !

Ta plus grande satisfaction ? Ne pas m’être laissée abattre par quelques années de galère, et avoir su rebondir à chaque fois.
Ton plus grand regret ? Je n’en ai pas, car je ne suis pas du genre à regarder en arrière. Il faut assumer et avancer !
Ta plus grande peur ? Je n’aime pas l’eau libre, j’ai peur des araignées, et j’ai le vertige.
Ton plus grand soutien ? Mon ami et ma famille.
Ce que tu aimes le plus ? Le chocolat.
Ce que tu détestes le plus ? Entrer dans de l’eau froide.
Ton film culte ? Rencontre avec Joe Black.
Ta musique culte ? Bruce Springsteen.
Ton astuce matos ? Mettre 2 bonnets de bain, avec les lunettes entre les deux.
Ton truc spécial ”made in Emma” ? Les différentes adaptations spécifiques sur mon vélo.
Ton fantasme de triathlète ? Avoir des longues jambes.
Ta devise ? ‘‘Ne regarde pas en arrière, ce n’est pas là que tu vas.’’

En bref – Emma Bilham

Suisse – 32 ans – 1,58 m – 53 kg
Club : Triviera – Triathlon Club Vevey Riviera
Entraîneur : elle-même
Débuts en triathlon (longue distance) : 2012
Palmarès (non exhaustif 😅) :
– 1ère Ironman Ireland 2019
– 1ère Triathlon XL* Gerardmer 2019
– 1ère Triathlon 111** Mallorca Portcolom 2019
– 2ème Etape du Tour 2019
– 1ère NatureMan* 2018
– 1ère Triathlon L Alpe d’Huez 2018
– 1ère Triath’Long* Côte de beauté (Royan) 2018
– 2ème Ironman Nice 2016
– 2ème Ironman Zurich 2016

*Formats half Ironman.
**111 – format hybride : 1 km de natation / 100 km de vélo / 10 km de course à pied.

Pour suivre son actualité, vous pouvez retrouver Emma sur son site emmabilham.com et sur ses pages facebook et instagram.
Propos recueillis par Cédric Le Sec’h @cedriclesech
Média : article publié sur opentri.fr le 06/11/2019
Crédits photos : Facebook & Instagram Emma Bilham / @guilhemlacaze / Gordon Thomson / Martin Jancek / Activ’Images